Corps vs numérique : un fil rouge de la saison, que l'on déroule avec Daniel Zea

Quelle place pour l’individu dans la société du tout numérique ? Quelle place pour les corps et les émotions, volontiers affichés sans recul ni filtres, à la vue de toutes et tous, dans nos réseaux dits “sociaux” ? Des émotions et des corps virtualisés, scénarisés, parfois monétisés, en tout cas monétisables…
Ces questions, nous sommes de plus en plus nombreux/-euses à nous les poser, alors que le grand “village global” utopique et harmonieux, initialement promis par l’émergence du web 2.0, se révèle, au delà d’incontestables atouts, comme un espace abstrait et inquiétant en termes d’idées, de liberté, et d’intimité.
Ces questions habitent l’oeuvre de Daniel Zea, compositeur d’origine colombienne installé à Genève, et avec qui l’Imaginaire a pris attaches artistiquement. Daniel Zea s’interroge sur la fragilité de notre société contemporaine, derrière la fascination effrénée de celle-ci envers la technologie. La dimension physique et l’expressivité corporelle y semblent réduites à leur valeur marketing et statistique.
"Le visage n’est plus le véhicule des émotions. Il est au service de tendances. Il nourrit des algorithmes. Est-ce que la société de nos jours peut être définie par des hashtags ?", disait-il à propos de sa pièce Swallow, créée en 2019.
Hybrides, les oeuvres de Daniel Zea mêlent électroacoustique, vidéo, performance, systèmes de captation sensorielle…Les outils numériques les plus pointus servent ici à faire interagir des visages, des cris, des mouvements, des sons, des notes et des jeux de lumière. La démarche vise à redonner au corps et aux émotions leur juste place, dans une perspective émancipatrice.
Le couple“humain/technologie”, entre séduction, interaction, ambivalence et contradictions, sera l’un des fils rouges que nous déclinerons sous le concept de “Corps 2.0”, au cours de notre nouvelle saison. “Corps 2.0”, un nom aux allures d’oxymore, pour mieux esquisser cet affranchissement des corps face au virtuel, et leur renaissance. Des corps repartant de zéro.
Nous ouvrons ce cycle avec un focus sur Daniel Zea, dont la démarche autant que le propos nous ont séduit. Sa nouvelle pièce, "Toxic Box", sera créée à Musica le 2 octobre prochain. Nous y interpréterons également "The Love Letters", en première française, ainsi que "Pea Soup", du compositeur américain Nicolas Collins, également en création française. Plus âgé que Daniel Zea, Nicolas Collins est une personnalité à part dans le paysage de la musique contemporaine. Complice entre autres d'Alvin Lucier et de John Zorn, Collins confesse une passion pour la No Wave new yorkaise autant que pour le hip hop. Il partage des préoccupations similaires à celles de Zea. Si "Toxic Box" et "The Love Letters" remettent"l'humain de chair et de sentiment" dans le jeu numérique, "Pea Soup" confronte l'espace physique, en tant qu'entité organique, à la technologie.
Pour préparer ce concert, l’Imaginaire se pose en ce début septembre au Centre de Création Musicale Césaré à Reims, pour une résidence qui se conclura par une performance publique autour de "The Love Letters" et de "Toxic Box", le 10 septembre à 19h30.
Cette création marque aussi la première participation de l’Imaginaire à Musica, une participation qui se concrétise également par un second concert, le 3 octobre en clôture du festival strasbourgeois. Nous en reparlerons plus en détail prochainement.
"Toxic Box" est une coproduction Musica - Ensemble l’Imaginaire. Avec le soutien de la DRAC Grand Est, la Ville de Strasbourg, la Région Grand-Est, Césaré, Centre national de création musicale de Reims et de la Sacem.
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