Le compositeur américain Nicolas Collins (photo ci-contre) fait partie de ces esprits frondeurs et insatiables dans leur désir de repousser sans cesse les limites du champ des possibles en termes de création musicale.
Composée en 1974, alors qu’il était encore étudiant, sa pièce Pea Soup déployait au départ des circuits analogiques. Ces circuits jouaient sur les hauteurs du retour audio en modifiant la fréquence de résonance du retour en train de se former, créant ainsi des motifs instables, et une matière sonore à chaque fois unique, car reflétant la personnalité acoustique du lieu concerné. Les évolutions technologiques, de nouvelles influences sonores, tout comme l’ambition permanente de réinventer cette pièce dédiée au “génie du lieu”, ont poussé Nicolas Collins à la réviser plusieurs fois.
Les nouvelles possibilités offertes par le numérique ont permis au compositeur de créer ses propres solutions logicielles, lui offrant davantage de liberté et d’ouvertures, tout en gardant intact son dessein initial de pouvoir “improviser” avec l’architecture. Ainsi, ce qui était au départ une oeuvre typique du minimalisme des années 70, et constituait un défi technique complexe lié aux outils analogiques de l’époque, est devenu aujourd’hui un objet sonore où le numérique le plus abouti dialogue avec murs, matières, angles et corps présents dans le lieu.
Après une première “expérience” de cette pièce à Musica en septembre dernier, l’Imaginaire vient jouer avec le cadre épuré et les formes inspirantes du Faubourg 12, à Strasbourg. Cet espace aux allures de loft berlinois se prêtera indéniablement aux interactions de l’architecture et de la matière sonore. Une version longue de Pea Soup sera donnée le samedi 3 juillet, et une version courte ouvrira le concert du 4 juillet.
Venez plonger en apnée dans cette “soupe de pois” du facétieux Nicolas Collins, qui, avec ce nom évoquant une vieille recette familiale, nous rappelle que l’expérimentation sonore la plus aventureuse n’empêche pas quelques traits l’humour!
Il sera également question de plongée dans le programme du 4 juillet. Une plongée presque au sens propre, car le monde aquatique est une source d’inspiration de Santiago Díez-Fischer, compositeur argentin strasbourgeois d’adoption. Espace mystérieux, sans doute attirant mais sûrement menaçant, le fond de l’eau est pour le compositeur une métaphore de nos souvenirs, désirs et passions enfouis. Inspirées de poèmes argentins, l’explicite El fondo del agua (“Le fond de l’eau”), ainsi que borrando el dia con sus manos (“effacer le jour avec ses mains”), semblent incarner la lutte existentielle de l’humain avec ses démons, au plus près des abysses de l’âme.
Installation de Fernando Garnero. Photo (c) Villa Medicis
Plus protecteur est sans doute le “champ amniotique” dans lequel le compositeur Fernando Garnero, compositeur argentin lui aussi, nous invite à plonger. Sa pièce Campo amniotico s’inscrit dans un travail de recherche récent du compositeur autour de l’hybridation, “cadre conceptuel qui [l’]aide à créer des objets sonores et scéniques faits de composants très diversifiés, disparates”, explique-t-il, pour aboutir à “la transformation d'une énergie en une autre”. Campo amniotico est aussi influencé par les réflexions visionnaires de Jean-François Lyotard, qui, dès 1972, décrivait la musique comme un investissement libidinal où les corps des musiciens étaient “augmentés”, à l’instar des réalités numérisées d’aujourd’hui. Pour Lyotard, les instruments étaient des “prothèses sonores”, transformant l’interprète en sujet hybride, proche du performeur.
Basé sur le feedback, Campo amniotico offre aux musiciens des possibilités innovantes de jeu entre l’intérieur et l’extérieur, entre le corps et ses “augmentations”, instrumentales comme numériques. Loin de nous soumettre à la technologie, c’est une oeuvre libératrice, une échappée au plus lointain de la profondeur de champ. Celle du champ des possibles qui, à l’image du précieux liquide dans lequel nous baignons avant de voir le jour, préfigure ici la naissance et peut-être aussi une renaissance.
Pour les concerts de ce week-end, l’Imaginaire a l’honneur et le plaisir de convier, à la régie son, le producteur et musicien suisse Eliyah Reichen, dont les productions singulières et originales ont séduit entre autres les musiciens de David Bowie, ainsi que la musicienne Meshell Ndegeocello. Un artiste avec lequel nous allons d’ailleurs continuer de collaborer dans le futur…
Conception graphique (c) Margaux Frajer Photo (c) Grégory Massat, réalisée à la Galerie Aedaen, Strasbourg.
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